Interview de Mourad
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– Est-ce que je peux te laisser te présenter un petit peu pour commencer ?
– Mourad, auteur-compositeur-interprète, faut-il donner l'âge ? En écoutant on devine que je suis dans la quarantaine. Ça fait une dizaine d'années que je donne vie à mes chansons sur scène et au travers d'enregistrements.
– Comment en vient-on, à 40 ans, à faire comme ça des albums et des concerts, alors qu'on a déjà une autre vie, un autre métier ?
– D'abord il y a une véritable passion pour la chanson. Ma vie de guitariste, je l'ai débutée avec des reprises comme tout le monde.
– Des reprises de qui essentiellement ?
– Par exemple, j'ai appris à jouer de la guitare en autodidacte avec l'album Unplugged de Nirvana. En chanson française, j'ai beaucoup repris de Goldman, de Cabrel. Avant de me lancer tout seul, je jouais avec un groupe qui s'appelait Côté Guitare, et on reprenait des chansons françaises des années 70 à nos jours. Pendant des années, j'ai affirmé que j'étais incapable d'écrire et de composer. Jusqu'au jour où un texte et une mélodie sont sortis.
– Tu as joué Nirvana sur scène ?
– Jamais. (rires)
– Ton nouvel album s'intitule Ta vie de garçon. Pourquoi ce titre ?
– Mes chansons parlent souvent du temps qui passe. "Ta vie de garçon" était d'abord un titre, où j'étais sur ce petit délire autour de l'enterrement de la vie de garçon et de la déterrer. Et ensuite m'est venue l'idée du visuel de la pochette, avec mon fils qui est dans le reflet du miroir.
– Avec le volte-face au verso, assez astucieux.
– Merci. Donc voilà, il y a tant un regard sur soi que sur la vie qui vient...
– On n'a pas besoin de savoir que c'est ton fils, on peut penser que c'est toi jeune.
– Tout à fait.
– En revanche la chanson ne s'adresse pas à ton fils mais à un pote.
– On est d'accord. Mais il y en a une qui s'adresse à lui, que j'ai écrite en tant que père, qui va parler à plein de parents, c'est "La cavalcade des années".
– Quel est ton meilleur souvenir de concert ?
– Le plus récent, la 1re partie de Volo au Bateau Ivre à Tours en septembre dernier c'était du top. Sinon, à mes tout débuts en tant qu'auteur-compositeur, une Fête de la Musique sur le podium de France Bleu. Et aussi un partage de scène avec Aldebert à Chartres. Dès qu'il y a du partage ça devient un chouette souvenir.
– Partage encore, tu as participé à plusieurs ateliers d'écriture de chansons. Que t'ont-ils apporté ?
– Une ouverture d'esprit. Surtout, le fait d'oser. Il y a le regard des autres, on construit, on s'entraide, on s'apporte mutuellement, les stages d'écriture c'est ça. On m'a demandé parfois d'aider à la composition, parfois d'avoir un regard sur l'écriture, parfois on écrit ensemble.
Si je prends l'exemple des Rencontres d'Astaffort avec Oldelaf qui étaient sur le thème de la chanson humoristique, c'est ce qui m'a permis d'essayer de faire un peu plus léger. Parce que mes chansons il y a une dizaine d'années abordaient les mêmes sujets mais sur un ton plus grave. Et puis l'expérience de Jean Fauque... Et de ceux avec qui j'étais en stage.
On a parlé des Volo. Ça a été des partages, la preuve il y a une chanson sur l'album On en parle ?, qui s'appelle "Papy", qui a été créée lors de ce stage et dès l'écriture Axelle m'a dit « Tiens, c'est toi qui vas la chanter ». "Et mes parents" est aussi née lors du même stage : je suis arrivé face à Frédo [du groupe Volo (N.d.R.)] en lui disant que je voulais un peu plus de léger, un truc drôle. "Femme parfaite" aussi pour moi c'est une chanson ironiquement drôle... mais pas pour tout le monde. J'ai souri en l'écrivant, il y a vraiment de la dérision.
– Est-ce tu recommandes ces ateliers d'écriture aux jeunes artistes ?
– Complètement.
– ...Et aux vieux artistes ? (sourire)
– Tout le monde. Je l'ai d'ailleurs recommandé à Mathis. Je crois que sa première co-écriture c'était avec moi.
– Justement, en parlant de jeunes artistes en général, et de Mathis Poulin en particulier, parce qu'on le suit aussi de très près sur japprecie, tu as un duo avec lui sur ton nouvel album. Comment s'est passée la rencontre ?
– Avant "Scruter l'horizon" il y a eu les prémices. Au 1er confinement j'avais proposé à Mathis qu'on écrive ensemble, mais à distance.
– Mais vous vous êtes rencontrés comment avant ?
– Je dirais aux Copains d'Abord, mais je ne suis pas sûr. C'est un resto-concert à Salbris, avec une jolie prog. Je t'invite à y aller.
– Pour en revenir à ce duo, le thème, jeune vs vieux, c'était un peu risqué non ? On se rappelle que Goldman s'y était cassé les dents en écrivant une chanson pour les Enfoirés...
– (rires) Ah ben tu vois, je n'y ai pas du tout pensé ! Pourtant je crois être un sacré mélomane de Goldman.
Comme Mathis et moi devions faire un co-plateau en septembre 2020 à Villandry, je lui ai dit : « Ça pourrait être chouette qu'on termine sur un duo, mais on ne va pas resservir la chanson du confinement. On pose une journée et on écrit ensemble, et voilà le thème que je te propose : on prend la vie de mon point de vue de quadra, et la vie de ton point de vue. » Il m'a dit banco, et la chanson est née dans la journée. Elle a été super bien accueillie, et on l'a enregistrée.
– Tes textes tournent généralement autour de "ton petit monde" : toi, ton couple, ta famille, tes potes. Est-ce parce que tu te sens moins à l'aise pour parler de grands sujets de société, du monde, de politique ?
– (réfléchit) La politique pour moi elle est en filigrane dans tout un tas de trucs. Parce qu'en fait vivre en société c'est aussi une forme de politique. Et une chanson comme "T'es bien un mec", pour moi c'est une chanson de société. C'est pas vraiment la vie de couple, non, on est vraiment sur le plan de l'égalité homme-femme.
– ...sous le prisme du couple.
– Totalement. Je la présente un peu comme ma chanson militante, en déconnant, mon coup de gueule, parce que je ne supporte plus qu'on me dise « Voilà, c'est normal, Mourad, t'es bien un mec. »
Après, c'est peut-être aussi parce que, aujourd'hui, j'aime l'idée que les gens puissent se retrouver dans un texte. Donc la vie de tous les jours, c'est le plus commun. Et puis c'est plus facile à tourner à la dérision.
Mais, va savoir, si ça se trouve je ferai aussi ma part de chansons sur... le boycott de... je sais pas...
– Tu penses à la chanson que Volo vient de sortir.
– Oui.
– Sur ce nouvel album, il y a une chanson un peu différente des autres, et que j'aime beaucoup parce qu'elle porte une ambiance d'un bout à l'autre, c'est "Il est temps". Peux-tu nous en parler ?
– En effet elle se dénote du reste par son ambiance, qui est un peu plus proche de ce que je pouvais faire il y a 10 ans. Dans l'ambiance. Parce que dans le texte je n'aurais pas fait ça. C'est une idée de chanson que je traîne depuis un petit moment. C'est une espèce de triste utopie de ce couple qui arrive à se dire « On a fait le tour, et je crois qu'il vaut mieux qu'on s'arrête là. » Mais c'est limite ce qu'on pourrait espérer pour certaines personnes que l'on connaît. Il y a eu ce petit arpège qui est venu, qui tourne, qui collait très bien à l'ambiance que je voulais poser.
– Et la basse qui en rajoute une couche.
– Oui. Et puis l'arrivée de la guitare électrique, que je compte aussi amorcer au fur et à mesure sur scène, pour faire varier les sonorités. Tu as vu, lors du concert de sortie, on était 3.
– Sur scène hein, pas dans la salle. (rires)
– On était plus, oui, tu as raison, merci de le préciser. Mais je réfléchis à quelque chose de l'ordre de la mise en scène, pour une chanson comme "Il est temps", prendre cette note de la guitare électrique, même si elle est toute seule, même si je reste en guitare-voix.
– Je te propose de regarder la liste des albums chroniqués sur japprecie. Quels sont ceux que tu connais ? Quels sont ceux que tu apprécies ?
– Bien sûr Mathis Poulin je connais, c'est un petit peu facile. Cats on Trees j'ai écouté cet album il était chouette, il sonne différemment de leurs précédents.
Bon, Ben Mazué c'est en tête de gondole aussi, c'est un artiste qui, dans le texte, me touche à fond, qui a une jolie approche, avec qui j'aimerais bien échanger lors d'un stage d'écriture.
Les Volo, on se doute que oui. Pomme Les failles aussi a tourné beaucoup.
Oh la la, Eiffel ! mais il est vieux cet album ! Non, pas tant que ça en fait, 2019.
Clara Luciani j'ai écouté son album, et ce qui m'impressionne chez elle c'est ce groove disco.
– Le nouveau est beaucoup plus disco que ne l'était celui-là.
– C'est vrai, mais sur "La grenade" déjà il y avait ce groove de la basse très très disco.
Ah la la, Tamino, ça a été une claque, que j'ai découvert sur Inter. Pour moi c'était une espèce de fils spirituel de Buckley. Impressionnant.
– Et en plus je l'ai vu à Hop Pop Hop, et je l'ai interviewé à cette occasion.
– Je ne savais même pas qu'il était venu à Orléans.
– Si si. Salle de l'Institut. Superbe.
– Tu m'étonnes ! À la Salle de l'Institut j'avais vu Tom McRae. J'en ai encore des frissons.
Bon, Daran, c'est pareil. Il intervient à Astaffort. C'est le genre de type aussi que je pourrais bien rencontrer. Je l'ai vu sur la tournée Le monde perdu aux Bains-Douches, un très chouette moment.
Agnes Obel ça c'est chouette aussi. J'aime beaucoup l'écouter sur la route.
Gaël Faure Regain aussi, qui a pas mal tourné. Un peu moins que le précédent.
Yann Pierre bien sûr je connais, par l'actualité des concerts sur Orléans il y a quelques années. On ne s'est jamais rencontrés en fait.
– Je le connais bien. Je l'ai suivi sur pas mal de concerts, je l'ai interviewé, je l'ai fait venir aussi à un P'tit déj' musical spécial "Humour et chansonniers", en 'guest'.
– Ah, cool.
De Palmas a marqué mes débuts de guitariste, à l'époque de Marcher dans le sable. "J'en rêve encore" reste pour moi une pépite, même si musicalement ce n'est pas la touche De Palmas.
Manu, j'adore son titre "Tes cicatrices".
Rover, ma déception de l'avoir loupé à Saint-Jean-de-la-Ruelle. De la pop anglaise à souhait qui marche bien, qui me renvoie à cette période Richard Ashcroft / the Verve.
Et Liz Van Deuq bien sûr.
– As-tu d'autres artistes à suggérer aux japprecinautes ?
– Ma dernière petite claque c'est l'EP Éphémère de Gaël Faye, Ben Mazué et Grand Corps Malade. C'est super agréable à écouter de A à Z. Ça a du sens, dans l'ensemble de ces titres.
J'ai découvert cet après-midi Noé Preszow. Quand je suis tombé sur "À nous", waouw, et au final j'ai laissé couler l'album, et je le réécouterai.
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– Comment gères-tu le temps, la durée, dans tes chansons ?
– Sans le vouloir, j'ai un format très ce qu'on appelle 'radio', je tourne aux alentours des 3 minutes. Après, l'apport des arrangements fait que j'ai été surpris d'avoir des titres sur Ta vie de garçon qui étaient plus aux alentours des 4 minutes. Mais je ne me pose pas forcément la question de la durée, je suis surtout sans cesse attentif à ce que ça ait du sens. Comme disait Bénabar dans une interview : 3e couplet ou pas ? Parfois j'ai des ponts, parfois non, parfois il y a un 3e couplet, parfois je double le refrain... Ça dépend du sens. Est-ce que je trouve que ça sonne ? ou pas ?
– Et dans tes concerts ?
– C'est tout un travail qu'on va appeler le rodage. C'est pareil, je cherche aussi à ce qu'il y ait du sens dans les nuances. J'aime bien aussi que le moment concert raconte une histoire. Et qu'on puisse avoir l'opportunité de rentrer dedans. Et ensuite qu'on sente qu'on arrive sur la fin – sans pour autant l'attendre pendant une heure. (rires) -
• "On a pris le temps"
• le Late Show de Chabat
• les poèmes de Cécile Coulon -
Paris 2024
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La phrase
« Dès qu'il y a du partage ça devient un chouette souvenir. »
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luimouradchante.fr (67 Clics)
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…Et maintenant, écoutez !
- www.deezer.com/fr/artist/101166362 (87 Clics)
- open.spotify.com/album/7bZ0hEPqlpP1rJONVS6QCr (57 Clics)
- www.youtube.com/user/Mouradchante (62 Clics)
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TagsNoé Preszow | Oldelaf | Astaffort | Mathis Poulin | Ta vie de garçon | partage | Mourad | Jean-Jacques Goldman | interview | Volo | chanson française
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Créé le19 décembre 2022
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Propos recueillis le 24 novembre 2022.
Merci à Mourad.